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Sur les traces des « crop circles », entre farces devenue virales et théories du complot

Les « crop circles », ces motifs complexes sculptés dans les champs, ont créé un buzz mondial bien avant Internet. Le New York Times a enquêté sur les deux farceurs à l’origine de ce phénomène. Voici leur histoire…

Peter Wilson, journaliste au New York Times , Mis à jour le
Les restes d'un « crop circle » ou agroglyphes,  découvert en 2014 dans un champ de blé, à Wiltshire en Angleterre.
Les restes d'un « crop circle » ou agroglyphes, découvert en 2014 dans un champ de blé, à Wiltshire en Angleterre. © SIPANY/SIPA

Le phénomène s’est produit encore récemment. C’était fin mai, dans la région agricole de Conholt, en Angleterre. Dans un immense champ de blé, une partie de la récolte a été comme aplatie, écrasée. De la route, on apercevait une série de dépressions dans les cultures, comme lorsque des animaux traversent les champs ou s’y couchent pour dormir. Mais c’est seulement en regardant le champ d’en haut que l’on prenait conscience du phénomène, en découvrant que les creux et les tourbillons pressés dans le blé formaient en réalité un motif complexe. Un dessin, à base de cercles concentriques, inclus dans une sorte d’engrenage géant à bords déchiquetés.

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Ces dessins étranges portent un nom : « crop circles », ou, en français, agroglyphes. Les premiers ont été découverts au début des années 1980, suscitant alors de nombreuses interrogations. Certains s’imaginaient qu’il s’agissait de traces laissées par des visiteurs extraterrestres. Pour d’autres, ces motifs auraient pu être le résultat d’anomalies météorologiques. Ou encore la conséquence de tests d’armes secrètes. Le monde, fasciné et intrigué, les regardait alors se multiplier un peu partout sur la planète : d’abord en Angleterre, puis en Californie et jusqu’en Australie.

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Des canulars qui se diffusent massivement, avant les réseaux sociaux

Aujourd’hui, le phénomène a pris une nouvelle signification : il nous rappelle que, même avant l’ère des réseaux sociaux, les canulars pouvaient se propager très rapidement de manière virale dans le monde entier. Et, surtout, il montre que certains sont capables de s’accrocher obstinément à leurs théories du complot, même en présence de preuves irréfutables.

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Car, évidemment, les crop circles n’ont rien de magique ni de surnaturel. Dès septembre 1991, le journal britannique Today révélait, sous le titre « Les hommes qui ont escroqué le monde », que deux amis de ­Southampton étaient à eux seuls les auteurs de plus de 200 de ces œuvres éphémères au cours de la précédente décennie.

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 Doug a toujours regretté de s’être dévoilé, parce que le mystère était alors éventé

 

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Tout commence à la fin des années 1970, quand Doug Bower, alors âgé de 55 ans, et son ami Dave Chorley, 50 ans, s’amusent à utiliser des planches de bois pour dessiner des cercles dans les cultures. Ils avancent dans les champs, la nuit, en tenant des cordes attachées à chaque extrémité de la planche, et en pressant leurs planches sous leurs pieds. Tout en suivant un dessin tracé au préalable. Pour composer des cercles parfaits, ils se servent de cordes attachées à un pieu central. Et d’un peu de fil ­suspendu à leur casquette, comme une sorte de viseur, pour bien aligner les choses et s’assurer d’avancer en ligne droite.

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Au départ, ils le font juste pour s’amuser, après avoir bu quelques pintes au pub. Mais rapidement, ils constatent avec étonnement que leur canular prend, attirant l’attention des médias et inspirant des copieurs un peu partout autour du globe. Et rigolent bien quand certains experts commencent à affirmer avec le plus grand sérieux que « les humains n’auraient pas pu créer ces cercles » et que ces motifs ont certainement pour origine une « intelligence supérieure », comme l’écrit Pat Delgado, coauteur à l’époque de livres à succès sur ce mystérieux phénomène. Ce spécialiste autoproclamé affirme même qu’il est sûr que ces dessins ont été faits « à 100 % par des extraterrestres » et qu’il peut sentir que ces derniers viennent tout juste de partir. Et n’a jamais voulu en démordre, même une fois le canular éventé.

Art mystérieux et anonyme

« Les gens qui voulaient croire aux extraterrestres et à tout le reste ont simplement ignoré les preuves, aussi évidentes soient-elles », note Rob Irving, qui a commencé à imiter le travail des deux farceurs en 1989 et s’est même lié d’amitié avec eux après que leur identité a été révélée. Intrigué par la façon dont ces créations anonymes agissent sur l’imagination de millions de personnes, Irving forme même les « Circlemakers », un collectif d’art conceptuel, avec un petit groupe d’amis. « Nous avons pris le relais de Doug et Dave et sommes devenus le groupe le plus actif à dessiner des cercles », s’amuse Irving, 65 ans, qui enseigne désormais l’art et la créativité à l’université du Gloucestershire. « La force de cet art tient au mystère qui l’entoure. C’est pourquoi Doug a toujours regretté de s’être dévoilé, parce que le mystère était alors éventé. »

Toujours selon Irving, à une époque, il y eut jusqu’à cinq groupes différents identifiés à l’origine de crop circles en Angleterre. Avec parfois quelques conflits : car si certains jouent le jeu de cet art mystérieux et anonyme, d’autres tentent d’en tirer profit. Ainsi certains membres du groupe de Rob Irving ont-ils à une époque monnayé leurs compétences afin d’imprimer d’immenses logos et images dans les cultures, l’herbe ou le sable pour des marques comme Nike, Mitsubishi ou Hello Kitty.

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C’est tellement irresponsable de piétiner et de détruire de la nourriture au milieu d’une pénurie mondiale que, si c’était moi, je chercherais à poursuivre en justice. 

 

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Et, alors qu’Irving aimait composer des cercles pouvant être vus par le public à partir des collines voisines, aujourd’hui les quelques artistes des champs encore actifs se concentrent plutôt sur l’audience d’Internet, contactant des photographes à drones dès qu’ils terminent une œuvre. Le buzz peut ensuite attirer des foules de spectateurs, comme ceux qui sont venus par dizaines piétiner les champs de Conholt pour voir le dernier dessin, à la grande colère de l’agricultrice voisine. « Les touristes peuvent causer encore plus de destruction que le cercle d’origine », déclare-t-elle, ajoutant même que le propriétaire du champ endommagé avait envisagé de le tondre totalement pour dissuader les visiteurs, avant de renoncer devant la perspective de perdre encore plus de blé. « Mais, renchérit-elle, c’est tellement irresponsable de piétiner et de détruire de la nourriture au milieu d’une pénurie mondiale que, si c’était moi, je chercherais à poursuivre en justice. »

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Jusqu’à présent, un seul créateur d’agroglyphes a été poursuivi pour vandalisme en Grande-Bretagne, en novembre 2000, après avoir envoyé à un « ufologue » une photo de lui en train de composer un motif, pour prouver qu’il n’avait pas été fait par des extraterrestres ; la photo avait alors été transmise à la police.

Des théories du complot qui s'auto-alimentent

Malgré tous ces témoignages et ces photos, Colin Andrews, coauteur des livres de Pat Delgado, et qui revendique le fait d’avoir inventé le terme « crop circle » après en avoir vu un pour la première fois en 1983, n’en démord pas : ces cercles ne sont pas tous naturels, jure-t-il. Cet ingénieur à la retraite, aujourd’hui âgé de 76 ans, est « plus convaincu que jamais » qu’il existe des causes non humaines à ces dessins. « Où est la preuve qu’ils sont tous fabriqués par l’homme ? », dit-il, ajoutant rapidement que, même si c’était le cas, il croit que ceux qui dessinent ces cercles ont involontairement « été incités à le faire par un esprit non humain indépendant ». Après avoir suggéré dans les années 1980 que ces cercles étaient formés par les fluctuations des forces magnétiques naturelles de la Terre, Andrews croit aujourd’hui qu’un dieu ou un « haut niveau de la nature » nous envoie un signal (nous alertant que la planète se dirige vers le chaos).

Et il n’est pas le seul. Si Jeffrey Wilson, l’un des fondateurs de l’Independent Crop Circle Researchers Association aux États-Unis, ne croit pas à la théorie de l’inspiration divine de Colin Andrews, il estime qu’environ un agroglyphe sur cinq n’est pas d’origine humaine. Cet ancien professeur de sciences de 52 ans, qui travaille désormais comme analyste de données dans le secteur de la vente, assure ainsi que les cercles d’origine non humaine pourraient être distingués par des niveaux de rayonnement plus élevés et des changements physiques dans les plantes. Et cela même s’il n’a pas été en mesure d’aller faire des relevés dans un champ depuis 2012 – l’apparition de crop circles aux États-Unis étant désormais très rare, après un pic entre 1996 et 2004. « Nous n’avons pas assez d’informations pour émettre une hypothèse valide sur l’origine de ces cercles, continue-t-il d’affirmer, donc quiconque vous dit qu’il sait comment ils sont créés vous ment. »

 

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Quiconque vous dit qu’il sait comment ils sont créés vous ment

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Pour Stephan Lewandowsky, professeur de psychologie à l’université de Bristol en Grande-Bretagne, la théorie d’Andrews selon laquelle une main cachée incite les gens à faire des cercles est un exemple de la façon dont « la cognition conspiratrice et les théories du complot s’auto-­alimentent ». En clair, si vous démontez une théorie avec une nouvelle preuve – comme ici en démontrant que des humains ont bien dessiné des crop circles –, alors la pensée complotiste l’intégrera à son raisonnement, ou la retournera. « Et si vous soulignez qu’il n’y a aucune preuve d’une théorie, ils diront : “Exactement ! Ça montre à quel point l’État profond travaille dur pour le dissimuler”, ou “Le manque d’observations extraterrestres prouve simplement à quel point les aliens sont avancés parce qu’ils sont invisibles”. » Pour lui, certaines personnes ont l’impression d’avoir perdu le contrôle de leur vie et, au lieu d’admettre que nous évoluons dans un monde que nous ne pouvons pas entièrement maîtriser, elles se consolent en s’imaginant que quelqu’un d’autre est responsable. « C’est plus rassurant d’avoir quelqu’un à blâmer, décrypte-t-il, qu’on évoque des fusillades de masse truquées par des acteurs ou la 5G causant le Covid, ou autres. » La différence, c’est qu’à l’époque de Doug et Dave il a fallu plusieurs mois, voire plusieurs années, avant que leur imposture ne se répande dans le monde entier quand, aujourd’hui, une fake news peut faire le tour de la planète en quelques heures seulement. 

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